{« Le problème c’est votre fils, Madame. »}

Quand nous sommes arrivés au parc hier, Loulou t’a fait de grands signes en te criant :
« SALUT THOMAS* !!! THOOOOMAAAS! »
Puis s’adressant à moi en te montrant du doigt : « REGARDE MAMAN, LUI C’EST MON COPAIN DU COURS DE TENNIS! »
« Ok super mon chéri, mais ne hurle pas s’il te plaît, arrête de l’appeler, il t’a vu c’est bon… »

Oui, cher Thomas, tu l’avais vu, mais tu avais aussitôt tourné la tête.

Tu étais là, assis sur ton grand vélo, appuyé en équilibre contre le mur. Je t'ai vu jeter un œil gêné sur nous sans répondre aux appels de mon fils.

 J’ai vu tes trois copains te rejoindre au portail du parc tandis que Loulou te hurlait à nouveau, malgré mon interdiction :
 » HÉHOOO THOMAS, SALUT ! »
Tes copains se sont alors retournés vers nous, surpris. Embarrassé, tu as jeté un regard noir à mon Loulou et tu lui as dit « p*tain t’es CHIANT !! » sur un ton dédaigneux.
Je ne m’y attendais pas, mon sang n’a fait qu’un tour.

« Y’a un problème ? » ai-je demandé d’une voix forte à ton intention.

Tu t’es contenté de me tourner le dos et de pédaler le plus loin et le plus vite possible. Loulou a baissé la tête et n’a rien dit. Comme toujours il ne semblait ni vexé ni triste, comme indifférent, mais je savais qu’au fond il sentait bien qu’il n’était pas le bienvenu. Malgré cela il s’est contenté de partir faire du toboggan sans chercher à savoir pourquoi tu l’avais envoyé chier.

Moi, je bouillonnais. Je suis partie marcher autour de l’aire de jeux pour me calmer.

J'ai ressenti cette peine et cette colère que je ressens chaque fois que nous croisons des "camarades" que mon fils interpelle d'une voix maladroitement forte à la sortie d'école, qui lui répondent par un sourire gêné (parce que je suis là) et repartent en chuchotant.

J’ai ressenti l’injustice et l’impuissance que je ressens chaque fois que mon fils me dit qu’un de ses « copains » fête son anniversaire mais ne lui a pas donné de carton d’invitation, « parce qu’il n’en avait pas assez » ou « qu’il l’invitera plutôt l’année prochaine »…

Et alors que je continuais de balader dans ce si joli parc, suivant tant bien que mal mon plus petit qui fonçait sur sa draisienne, tu es revenu. Je ne t’ai pas entendu arriver, tu as surgi derrière moi à toute vitesse avec ton VTT, et j’ai tout juste eu le temps de t’entendre me dire :

"Le problème c'est votre fils Madame !"

Et tu as disparu au bout du chemin. J’étais si abasourdie que je n’ai rien trouvé à répondre, et j’ai vu tes amis arriver en courant près de moi, essoufflés et confus. Ils se sont excusés pour toi.
Quand j’ai demandé ce que tu reprochais à mon fils, ils m’ont répondu « il dit qu’il crie trop… »

Franchement Thomas, c’était pas gagné. J’étais à deux doigts de céder à mes émotions et de te rattraper pour te faire avaler ton guidon et te traiter de petit con mal élevé.
Mais ça aurait servi à quoi ? À qui ?
Au lieu de cela, ma colère a disparu quand tes amis m’ont expliqué pourquoi tu agissais ainsi.

J’aurais aimé pouvoir te parler Thomas, mais malgré les appels de tes amis, tu n’as pas voulu venir. J’ai compris que tu avais peur de ma réaction. J’aurais pourtant voulu t’expliquer que tu avais le droit d’être gêné par le fait que mon fils parle souvent trop fort. Que même pour moi, sa maman, c’est parfois très désagréable.

Mais sais-tu au moins pourquoi il le fait ?

En réalité, je te le dis Thomas, le "problème" ce n'est pas mon fils. Le problème, c'est l'exigence des autres. C'est ce Monde qui exige qu'il s'adapte au lieu de s'adapter à lui.

Mon fils parle fort parce que vivre avec les autres est une énigme pour lui, parce qu’il ignore ce qu’est le « bon ton » à avoir et la « bonne distance » à tenir avec une personne lors d’un échange. Certaines choses qui te paraissent évidentes et innées nécessitent pour lui un véritable effort de réflexion. La gêne ou le dédain qui ont traversé ton visage sont comme des codes indéchiffrables à ses yeux. On le trouve gênant et on se moque parce qu’il crie et plaque ses mains sur ses oreilles chaque fois qu’un insecte vole près de lui, que ce soit un papillon ou une guêpe ; pourtant ce n’est pas par peur d’une piqûre qu’il agit ainsi, mais parce que c’est quelque chose d’imprévisible, et que tout ce qui est hors de son contrôle l’angoisse profondément.

Il ne fait pas exprès, il n’a pas choisi d’avoir un cerveau différent du tien.
Il a ce qu’on appelle des Troubles du Spectre de l’Autisme. Ce n’est pas contagieux, ça ne saute pas aux yeux. C’est même assez invisible jusqu’à ce qu’on lui parle et qu’il passe pour un enfant « bizarre ».

 

Pourtant si tu savais Thomas, comme il pourrait devenir un ami hors-du-commun, si tu lui en donnais la chance. Si tu pouvais dépasser tes préjugés, tu verrais que mon garçon a d’immenses qualités, dont celles de ne pas savoir mentir et de posséder une excellente mémoire. Ou encore d’avoir un extraordinaire sens du rythme au point d’apprendre seul à manier une table de mixage à la perfection… Si tu savais Thomas, comme il peut être un ami d’une générosité sans borne, doté d’une bonne humeur increvable et capable de faire preuve d’une fidélité à toute épreuve…

Mais je ne t’en veux pas Thomas.

Personne ne peut forcer quelqu'un à apprécier quelqu'un d'autre.

Mais aurais-tu agis de la même façon si tu avais su tout cela ? Ou peut-être que cela ne t’aurait pas forcément donné envie d’être son ami, mais t’aurait au moins convaincu de ne pas le repousser avec autant de méchanceté… Qui sait…

Quoi qu’il en soit j’ai expliqué à tes amis, je les ai senti touchés, je les ai sensibilisé sans les culpabiliser, pour qu’ils se chargent de te faire passer le message.
J’espère qu’ils l’ont fait.
Et qu’ils en parleront aussi à leurs parents, qui en parleront à d’autres parents, qui sensibiliseront leurs enfants, qui en parleront à leur tour à leurs copains… …
J’ai conscience que même malgré cela, il y en aura toujours qui n’auront pas envie d’aller vers mon fils, par honte ou pour tout un tas d’autres raisons. Mais ce n’est pas pour ça qu’il faut baisser les bras et cesser d’informer, bien au contraire…

Parce que tu sais Thomas, le « problème » ce n’est pas mon fils. Le problème, ce n’est pas l’Autisme non plus.
Le vrai problème, c’est l’ignorance. La tienne et celle de tous ces autres, qui rejettent la différence par peur et incompréhension.

Alors faisons passer le message. 💙

PS : (*) Prénom d’emprunt pour préserver l’anonymat du jeune garçon.

/!\ EDIT /!\ : Je précise suite à certains commentaires sur la publication de ma page Facebook que je ne blâme ni le jeune garçon de mon récit, ni ses parents… D’ailleurs je ne blâme personne, je ne veux pas partir dans le débat de « certains parents ne font pas leur boulot », ma publication n’est pas là pour incriminer ou culpabiliser qui que ce soit. ❤️ Il faut savoir que moi-même avant d’apprendre le diagnostic de mon garçon, j’étais dans l’ignorance totale concernant l’Autisme, et pourtant je pense que je n’étais pas quelqu’un de fermé ou de « mal éduqué »… D’où l’importance d’informer autour de nous.

Quant aux enfants, ils ont leur libre-arbitre aussi et font leurs choix… Certes les mettre au courant fait partie de notre rôle de parent, mais nous ne sommes pas responsables du fait qu’ils fassent malgré tout le choix de ne pas agir comme nous le souhaitons. Certains auront besoin de mûrir quelques années avant d’oser changer d’attitude face à des personnes avec handicap (visible ou non), mais ça ne fera pas d’eux des mauvaises personnes… Contentons-nous donc de faire passer le message sans jeter la pierre à qui que ce soit, et respectons le fait que chacun a le droit de faire face à la Différence à son rythme et à sa façon. 💙

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